La Critique Parisienne
n°49 – Juillet 2003

Homomorphisme et zoomorphisme
chez le sculpteur Geymann

Enfant, Guy Geymann avait l’habitude de retourner les images qu’il gagnait, pour voir derrière où se cachait l’épaisseur des personnages qu’il y voyait ? C’est dire que la volonté profonde de considérer son monde en trois dimensions l’a toujours accompagné. Volonté sans failles, d’ailleurs, puisque dès la fin de l’adolescence, il a fréquenté, outre les Beaux-Arts, des ateliers de sculpteurs, apprenant les techniques principales du modelage, de la taille de pierres dures, et du coulage du bronze. Mais le caractère onéreux de tous ces matériaux l’a emmené vers d’autres expériences, en particulier vers des matières de synthèse. D’où l’obligation de décomposer en deux temps les étapes de son travail : d’abord la création en terre ou en cire de la forme choisie, et le moulage dans un support lui-même en plâtre ou en élastomère. Après cette genèse, vient, opération longue et précise, le polissage des surfaces démoulées.

            Si cette avancée vers une œuvre finie où jouent les brillants et les mats, témoigne d’une tradition perpétuée avec une remarquable technique, elle est chaque fois subséquente à un temps de latence au cours duquel sont en éveil la vigilance, les motivations de l’artiste ; où son esprit erre, suppute, refuse ou au contraire laisse venir à lui des désirs, des rythmes, des enchaînements de configurations, jusqu’à ce que s’établissent entre tous ces éléments, une cohérence et une esthétique si évidentes qu’il puisse enfin « commencer » à réaliser la forme s’imposant peu à peu à lui. De ces afflux de forces sur lesquelles le sculpteur n’exerce aucune influence, pas plus qu’il ne tente de les expliquer ou de les intellectualiser, découle l’apparence d’une œuvre nouvelle, parfois presque abstraite, d’autres fois proche d’une petite histoire, ou simple silhouette conçue pour le pur plaisir et qui, sans narration, emplira l’espace…

            Ainsi, la partie zoomorphique conçue par Geymann est-elle tantôt porteuse d’une symbolique très forte comme La colombe de la paix étendant ses ailes sur le monde ; tantôt réminiscence peut-être de poésies étudiées « au temps des images », tels ce Héron, ce  Chat ou ce Scorpion  saisis dans leurs allures caractéristiques de prédateurs ; ou encore ces oies très stylisées, aux cous démesurément étirés comme cherchant quelque plan d’eau où s’admirer. Et puis, viennent les bêtes issues de la mer,  Bernard L’Hermite  à la lourde carapace brune, sorti de son coquillage, Rascasse volante aux appendices ailés, Hippocampes délicatement entrelacés, etc. Mais la partie la plus proche du spectateur propose des Petite chèvre, des Bisons… lourds, à peine pattus, quasi-semblables à ceux qu’il a pu étudier sur les parois des grottes rupestres. Ces œuvres, généralement petites, ramènent – consciemment ou non – Geymann vers d’ancestrales cultures, vers une humanité qui va au-delà d’une simple création formelle.

            Quant aux œuvres homomorphes de ce sculpteur, les unes remontent également aux sources les plus lointaines, simples Vénus ovées, semblant à peine émergées de la glaise originelle ; tandis que d’autres aux bassins lourds et aux rondeurs rassurantes, évoquent, par leur proximité avec la célèbre petite Dame de Brassempouy, des maternités tutélaires. Œuvres tellement polies, miroitantes, que le spectateur a envie de les caresser, créer avec elles une intimité, suivre leurs replis chauds et soyeux… Car les œuvres de Geymann sont toutes féminines, ces contours et ces saignées parlant à sa main jusqu’au fantasme. D’autres sculptures, par contre, plus culturelles, plus linéaires, très proches de l’abstraction, perdent un peu de leur sensibilité psychologique au profit de leurs harmonies formelles. Mais dans tous les cas, se dégage des œuvres de cet artiste, une grande sensualité : pour l’œil, d’abord, qui s’attarde sur ces enchaînements de sinuosités, de plans tendus et de surfaces polies, sur les jeux d’arêtes et de mamelons… Pour la main, ensuite, qui ressent un véritable plaisir physique à frôler cette douceur… Pour l’esprit, enfin, qui, confronté à la récurrence quasi-obsessionnelle de ces formes féminines parfaites, se laisse emporter vers une définition inhérente à cette perfection : la Beauté.

            Mais – et sans doute faut-il y voir un paradoxe – peut-être est-ce ce sentiment-même de beauté qui génère une frustration ? Car s’il fait appel à tous les sens, il laisse de côté le cœur… Au fond qu’importe : la Vénus de Milo, les œuvres de Moore ou de Brancusi… disent-elles « si », « où » et « quand » l’artiste a souffert au cours de leur gestation ? Dans cette harmonie qui les caractérise, sollicitent-elles le cœur du spectateur ? Il semble bien que non. Qu’à partir du moment où un artiste investit son imaginaire, sa créativité dans cette quête d’absolu, il rejoint Saint-Jean de la Croix déclarant : « Pour toute la beauté, jamais je ne me perdrai ; sauf pour un je ne sais quoi qui s’obtient d’aventure ». Geymann, apparemment, suit le même chemin à la recherche de ce « je ne sais quoi ».

Jeanine Rivais
Critique d’art 


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